Gabrielle Manglou, Amarrer à l'ombre, 2020 musée national de la Marine, citadelle de Port-Louis production : musée national de la Marine et La Criée centre d'art contemporain / Territoires EXTRA © Marc Domage

Installation

« Comme le poète tache à enrizhomer son lieu dans sa totalité, à diffuser la totalité dans son lieu : la permanence dans l’instant et inversement, l’ailleurs dans l’ici et réciproquement »*

L’exposition Amarrer à l’ombre est le fruit du partenariat entre La Criée centre d’art contemporain – Rennes et le musée national de la Marine – Port-Louis, dans le cadre du projet Territoires EXTRA. L’artiste Gabrielle Manglou investit l’espace de la poudrière avec un projet spécialement imaginé pour le lieu. À l’issue d’une résidence de deux mois à la citadelle de Port-Louis, l’exposition est le résultat du son travail de recherche et de création.

L’histoire qui lie Port-Louis et l’île de la Réunion est la toile de fond des recherches de l’artiste : explorations navales, histoire coloniale et culture vernaculaire en nourrissent l’œuvre. L’artiste s’attache aux liens subtils ou inattendus qui relient Port-Louis et La Réunion, elle donne une voix aux récits des objets qui se perdent dans les mailles de l’Histoire, ce qu’elle appelle les « témoins muets » d’une culture.

Le titre de l’exposition, Amarrer à l’ombre, est une référence explicite au lexique de la navigation et à la vocation maritime de la citadelle. Pour Gabrielle Manglou, le terme « amarre », très usité en langue créole réunionnaise, condense tout le vocabulaire du lien : unir, attacher, mettre ensemble, et renvoie également à sa pratique artistique qui procède en rhizome, cherche les relations et les organise dans un système d’associations de mondes et de matières en apparence éloignés.

L’artiste nous invite à un amarrage de l’ordre du poétique, où l’ombre – élément protecteur du climat tropical de la Réunion – rappelle également l’opposition avec la lumière : métaphore du visible et de l’invisible, de ce qui est en plein soleil et de ce qui se soustrait à la vue et se cache dans les plis de l’Histoire. Gabrielle Manglou creuse dans les sédiments qui s’accumulent dans les plis qui recouvrent et révèlent, les plis où se tassent les matériaux de l’histoire** .

Plier-déplier, couvrir-révéler, creuser-remplir, impliquer-expliquer, coudre-défaire, unir-détacher sont autant de gestes qui se font écho dans le répertoire visuel de l’artiste. L’installation conçue pour la poudrière condense ces gestes dans un ensemble de formes hétéroclites qui composent un système à part entière où chaque œuvre est éclairée par le lien qu’elle entretien avec les autres qui l’entourent.

Sur des plateformes, comme autant d’îlots flottants dans l’espace, se déploie un inventaire d’objets, de sculptures et d’assemblages qui dialoguent et se répondent, sciemment organisés en catégories selon leur fonction réelle, métaphorique ou évocatrice.

Les objets-repères comme le quadrillage au sol, renvoient à l’idée de marques : ils permettent de nous orienter dans ce vocabulaire visuel inédit. Cordages et attaches sont quant à eux des objets universels dont la fonction primaire est celle de lier, unir. Ce sont des objets-références, à l’instar des coquillages qui ont traversé époques et cultures ; première monnaie d’échange et signe tangible de prospérité et de puissance.

Chaque élément est une clé pour traverser ce nouveau récit et si l’artiste déjoue la fonction des objets ou en détourne les matériaux, c’est pour en exalter le pouvoir poétique et évocateur. L’artiste mue ses assemblages en rappels de l’époque coloniale. Elle fait référence au pouvoir et au prestige avec ses cordages transformés en coiffes à l’ancienne, mais aussi à la violence et au commerce de biens précieux avec ses coquillages incrustés de perles, les chocolats en papier mâché qui miment des boulets de canon ou les cuirs qui dessinent la forme des algues du littoral.

* – Édouard Glissant, Traité du Tout-Monde, Paris, Gallimard, 1997, p.122

** – Gilles Deleuze, Le Pli – Leibniz et le Baroque, Paris, Les Éditions de Minuit, 1988.

Co-production avec le musé national de la marrine

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