Une visite descriptive et tactile de l'exposition « Pharmakon/Reboot »

Pour chacune de ses expositions, La Criée centre d'art contemporain propose des visites descriptives et tactiles destinées aux personnes déficientes visuelles. Pour l'exposition Pharmakon/Reboot, Carole Brulard, médiatrice à La Criée, accompagnée d'Elodie Coulon en stage de médiation et de Cassandre en stage de seconde, accueillent ce jour-là un groupe de quatre personnes qui sont pour certain·es des habitué·es de ces visites sensibles.

Découverte de l'exposition : lecture en braille et déambulation

Avant de commencer la visite, Carole propose que chacun·e découvre le cartel de présentation de l'exposition, retranscrit en braille. Il s'agissait d'une demande des visiteurs, à laquelle a répondu Florence Rousseau, bénévole à l'association Valentin Haüy (AVH) à Rennes. Si toutes et tous ne lisent pas le braille, les retours sont plutôt positifs.

La visite peut alors débuter. Carole propose une première déambulation dans l'espace d'exposition pour appréhender les œuvres, leur emplacement, les sons et les possibles obstacles. Chaque accompagnatrice guide une ou deux personnes du groupe pas à pas. Ce premier tour de l'exposition leur permet aux personnes d'avoir une perception globale de l'espace et d'accueillir avec plus de sérénité la suite de la visite. L'exposition présentant plusieurs vidéos, le son a été légèrement baissé pour permettre d'adoucir l'ambiance sonore et d'avoir un meilleur confort auditif pour les visiteur·euses.

Les vœux de guérison : entre dessins-écritures et œuvre sonore

Installé·es sur des bancs dans la petite salle de l'exposition, les quatre visiteur·euses écoutent avec attention Carole leur présenter le propos de l'exposition. Le décor est planté : nous sommes dans une pièce plongée dans la pénombre, un doux éclairage rose tapisse les murs. Face à eux·elles, 39 petits dessins évoquent des cellules de plantes. Ce sont des retranscriptions de vœux de guérison collectés par l'artiste Violaine Lochu auprès d'habitant·es de Rennes. Ils sont composés de mots à peine lisibles issus de ces témoignages. Pour mieux appréhender le format et la matérialité des dessins, Carole distribue aux visiteur·euses des papiers lisses aux formats similaires à ceux présentés sur le mur. Ils et elles placent ensuite des casques sur leurs oreilles pour écouter l'œuvre sonore chœur-corps-care, qui entremêle les témoignages des rennais·es de façon anonyme dans un même souffle, entre soupirs, pleurs et rires.

Les vidéo-performances : écouter les sons de la nature et les gestes des artistes

Toujours accompagné, le groupe se déplace ensuite dans la salle principale pour s'installer devant la vidéo Pharmakon/Reboot #2. Carole leur décrit ce qu'il s'y passe : trois femmes dont l'artiste elle-même, habillées de jogging colorés, réalisent des performances sur la colline du Montaigu en Mayenne. Cela rappelle une chanson à l'une des personnes du groupe. Les visiteur·euses peuvent entendre des sons d'oiseaux, des souffles, des gargarismes, des crachats... Ce sont les performeuses qui transmettent aux plantes, par un rituel imaginaire, les dessins des vœux de guérison de la salle précédente.

Les couleurs et les textures des capes-partitions

À présent, le groupe se dirige vers l'œuvre centrale de l'exposition : un dispositif associant trois vidéos à de grands tissus rectangulaires ou circulaires suspendus depuis le plafond et qui forment un espace circulaire au centre de la salle. Carole explique aux visiteur·euses qu'ils et elles vont pouvoir exceptionnellement toucher les œuvres : des tissus colorés - rouge, vert, mauve, rose, orange - brodés de motifs noirs et doublés au dos d'un isolant argenté et brillant qui bruisse sous les doigts. Ce sont des capes-partitions, couvertes de signes imaginés par l'artiste pour retranscrire des chants gestués. Chaque cape correspond à une plante et est interprétée par les trois mêmes performeuses sur ces nouvelles vidéos.

Les visiteur·euses sont très réceptif·ves à cette expérience tactile : au relief des motifs qui reprennent parfois la forme des feuilles des plantes, aux petits bourrelets des coutures, au bruit de l'isolant, à la dimension imposante des capes. Une des visiteuses réagit à l'énonciation des couleurs et explique qu'elle perçoit des couleurs depuis son arrivée : en rouge, orange et rose, comme les capes !

Sentir et manipuler les plantes

Pour incarner les plantes, les médiatrices de La Criée ont procédé à une cueillette en amont de la visite, à Rennes, principalement le long de la Vilaine. À chaque arrêt devant une cape, elles proposent aux visiteur·euses de toucher et de sentir la plante en question.

En donnant quelques indications - l'aspect, les propriétés médicinales, la symbolique de la plante -, Carole les invite à deviner de quelle plante il s'agit. Verveine, sureau, millepertuis, plantain, armoise... chaque cape-partition associée à sa plante est un voyage sensoriel qui convoque parfois les souvenirs. Une visiteuse devine au toucher la plante du sureau (ce qui lui rappelle un souvenir d'enfance, lorsqu'elle en donnait petite à manger aux lapins). Les feuilles de verveine laissent une délicate odeur citronnée sur les mains tandis que les fruits du sureau, pareils à de petites billes, roulent entre les doigts des visiteur·euses qui réagissent tour à tour à chaque nouvelle sensation.

La visite se conclut ainsi. L'équipe de médiation raccompagne les quatre visiteur·euses à l'extérieur. Les commentaires sont unanimes : ils et elles ont aimé l'exposition et prévoient de revenir accompagné·es. Le plaisir de la visite est partagé. Les échanges ont été riches avec le groupe, curieux et enthousiaste.